Bio-évaluation de la qualité des eaux de surface à Yaoundé : rôle des Annélides Oligochètes

Abstract

Au Cameroun, les grandes métropoles abritent la majorité de la population et présentent des insuffisances en terme de gestion des déchets. Ceux-ci se retrouvent généralement dans l’environnement sans traitement préalable et terminent leur course dans les plans d’eau de surface dont ils constituent la principale cause de dégradation de la qualité. Suite au désir formulé par les communautés urbaines d’aménager ces cours d’eau, il est question de doter les institutions en charge de cette mission d’outils d’évaluation fiables, permanents, écologiques et économiques de la qualité de ces milieux. Dans cet ordre, les oligochètes aquatiques constituent un groupe d’organismes de choix. La présente étude a pour but d’analyser la composition et la structure des peuplements d’oligochètes dans les eaux de surface de la ville de Yaoundé, en relation avec leur qualité. Onze (11) stations d’échantillonnage ont à cet effet été choisies sur deux cours d’eau (R1 à R5), trois lacs (L1 à L3) et trois marécages (M1 à M3) de ladite ville. Les prélèvements d’eau ont été effectués suivant un pas mensuel entre mars 2016 et février 2017. La caractérisation physico-chimique des stations a été faite suivant les méthodes standards. Les oligochètes ont été récoltés à l’aide d’un filet troubleau de 30 cm de côté et 100 μm d’ouverture de maille, fixés dans du formol 10 % puis conservés dans de l’éthanol 70 %. Les mégadrilles ont été examinés sous une loupe binoculaire alors que les microdrilles ont été montés entre lame et lamelle pour être observés au microscope aux objectifs 40 et 100. Toutes les stations échantillonnées ont montré des signes de pollution organique des eaux. L’Indice de Pollution Organique (IPO) a indiqué que cette contamination était modérée à forte. Les valeurs des matières en suspension (MES), de la couleur et de la turbidité ont été moyennes à fortes dans toutes les stations d’échantillonnage. Les taux de saturation en oxygène en deçà de 75 % et la légère basicité des eaux, associés aux observations énoncées plus haut, confirment l’état de déséquilibre écologique des milieux étudiés. L’Analyse Factorielle Discriminante (AFD), réalisée à partir des paramètres abiotiques, a distingué nettement trois types d’écosystèmes : les eaux des ruisseaux qui ont été les plus minéralisées (369,7 ± 0,99,5 μS/cm), plus alcalines (43,3 ± 16,9 mg/l) et riches en TDS (181,5 ± 50,4 mg/l) , celles des lacs ont été les plus chaudes (28,82 ± 0,97 o C) tandis que celles des marécages sont les plus colorées (138,5 ± 119,0 PtCo), plus turbides (33,4 ± 41,1 FTU), plus riches en MES (32,0 ± 45,3 mg/l) et en nitrates (4,32 ± 3,72 mg/l). Les teneurs moyennes de cadmium et de mercure obtenues dans les marécages n’ont pas respecté les exigences de qualité des eaux piscicoles. Au sein de chaque type d’écosystème, les stations se sont distinguées principalement par le niveau de salinité de leurs eaux. Dans les ruisseaux, les stations R3, R4 et R5 ont été significativement plus minéralisées que les autres. Il en a été de même des stations L1 et L2 et de M1 dans les lacs et les marécages respectivement. La liste faunistique des oligochètes récoltés était constituée de 81,8 % de Naididae, de 9,1 % de Lumbriculidae et de 9,1 % de Lumbricidae. Ces relevés de 5748 individus étaient formés de 11 morphotypes identifiés au niveau des familles et des genres. Les genres Branchiura, Limnodrilus et Nais y ont été, chacun, représentés par 1 morphotype. Le genre Deroen a compté 4 et le genre Pristina 2. Un Lumbriculidae ainsi que Eiseniella sp. ont également été échantillonnés à la station R3 où ils avaient un statut de taxons rares. Pristina sp.1 et Pristina sp.2 étaient omniprésents dans toutes les stations. Branchiura sp., Limodrilus sp., Dero (Aulophorus) sp., Dero (Dero) sp.1 et Dero (Dero) sp. 2 ont changé de statut entre omniprésents et accessoires selon les stations. Dero (Allodero) sp. a été rare à la station R4. Le genre Nais a été récolté pour la première fois dans les eaux de surface au Cameroun et dans les stations R1 et R2. Limnodrilus sp. a quelques fois présenté une queue achète et rétrécie, signe d’une régénérescence. La perte de la région caudale de cet oligochète résulterait d’une attaque par des prédateurs ou d’une auto-amputation en vue de se débarrasser des métaux qui s’y seraient accumulés. Le coefficient de similarité de Sörensen a révélé une grande similitude biologique entre les types d’écosystèmes, ce qu’a confirmé l’analyse factorielle discriminante (AFD). Les indices de diversité de Shannon-Weaver et d’équitabilité de Pielou d’une part et, d’autre part, l’Indice Oligochète de Bio indication des Sédiments (IOBS) ont abouti à des conclusions quasi similaires, à savoir que toutes les stations échantillonnées étaient de mauvaise qualité biologique. La station R2 des ruisseaux a présenté une meilleure structuration. Plusieurs facteurs ont influencé la répartition des oligochètes dans les milieux aquatiques étudiés. La faible oxygénation des eaux a semblé favoriser l’installation des oligochètes des genres Limnodrilus, Branchiura et Dero, qui présentent des adaptations morphologiques et physiologiques aux conditions d’anoxie. La disponibilité de la matière organique dans les marécages aurait induit la dominance numérique de Branchiura sp. De même, la dominance des Naidinae et des Pristinae dans les lacs, et à la station R2 des ruisseaux (> 77,5 % de l’effectif global) a pu être déterminée par la présence de la végétation. Des corrélations positives significatives ont été trouvées entre les paramètres de minéralisation de l’eau et les abondances des espèces. Les oligochètes récoltés ont préférentiellement colonisé les substrats vaseux. Les saisons, en agissant sur le régime hydrographique, ont permis le développement de la végétation et, par ricochet, ont impacté sur la répartition des oligochètes dans l’eau. La comparaison des informations générées par l’indice de pollution organique (IPO) et l’indice oligochète de bio-indication de la qualité des sédiments (IOBS), a montré une plus grande fiabilité de l’IOBS.