Effet curatif de l’extrait aqueux des feuilles de Eremomastax speciosa (Acanthaceae) sur les ulcères gastriques chroniques impliquant une infection à Helicobacter pylori et profil de toxicité chez deux rongeurs

Abstract

Les ulcères gastroduodénaux comptent parmi les affections du tube digestif les plus recensées et touchent 8 à 10 % de la population mondiale. La survenue de ces ulcères dépend en grande partie de l’action de certains facteurs d’agression tels que l’infection à Helicobacter pylori et la prise des médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens. Pour être efficace, le traitement doit donc tenir compte de l’étiologie de l’ulcère, d’où les schémas thérapeutiques recommandés en médecine conventionnelle consistant généralement en une tri- ou quadrithérapie. Toutefois, ces traitements conventionnels présentent des limites du fait de nombreux effets secondaires rapportés et des résistances à Helicobacter pylori (responsable d’environ 80 % des ulcères gastriques). La recherche de traitements alternatifs efficaces, peu coûteux, à toxicité réduite et facilement accessibles pour la population, demeure un enjeu majeur. Au vu de cette situation, l’objectif général de ce travail a été d’étudier l’effet curatif de l’extrait aqueux des feuilles de E. speciosa sur les ulcères gastriques chroniques impliquant une infection à Helicobacter pylori et d’évaluer la toxicité liée à l’administration de cet extrait. Les isolats de H. pylori utilisés pour ce travail ont été obtenus à partir de biopsies gastriques prélevées sur des patients de l’hôpital Civil de Karachi, Pakistan. Les tests d’inhibition de H. pylori par l’extrait ont été réalisés par la méthode de l’AlamarBlue®, suivis de l’étude morphologique des bactéries grâce aux techniques microscopiques. Un test d’éradication in vivo a été réalisé chez les souris et les charges bactériennes stomacales ont été calculées. Deux modèles d’ulcères gastriques chroniques ont été réalisés chez des rats préalablement infectés avec H. pylori à savoir; les ulcères chroniques induits avec l’acide acétique et les ulcères chroniques induits avec l’acide acétique et rendus « difficilement guérissables » par administrations répétées sous cutanée d’indométacine. A la fin des expérimentations, les charges bactériennes stomacales ainsi que quelques paramètres macroscopiques des ulcères ont été évalués, les dosages antioxydants ont été réalisés, suivis des coupes histologiques. L’innocuité de l’extrait a été évaluée grâce à des tests de cytotoxicité, suivis des tests de toxicité in vivo (aigu et subaigu) chez les rats. L’extrait aqueux des feuilles de E. speciosa a inhibé la prolifération de H. pylori, avec une concentration minimale inhibitrice évaluée à 8 mg/mL et une concentration minimale bactéricide supérieure à 32 mg/mL, ce qui le classe comme bactériostatique. Les observations microscopiques de l’effet de l’extrait sur H. pylori ont révélé des perturbations de la morphologie bactérienne dont la gravité était fonction de la concentration testée. Par ailleurs, l’extrait a provoqué une baisse significative (p < 0,05) de la charge bactérienne in vivo chez les souris aux doses de 200 et 400 mg/kg. Chez les rats, E. speciosa a baissé l’indice d’ulcère de façon significative (p < 0,001) à toutes les doses testées et augmenté de façon significative la production de mucus (aux doses de 200 et 400 mg/kg), chez les deux modèles d’ulcères chroniques étudiés. L’administration de E. speciosa a provoqué une baisse significative (p <0,05) de la charge bactérienne stomacale, aux doses de 200 et 400 mg/kg, chez les deux modèles d’ulcères chroniques étudiés. L’extrait a globalement provoqué une hausse des marqueurs antioxydants, avec notamment une augmentation significative des nitrites quel que soit le modèle d’ulcère chronique étudié. Ces résultats ont été confirmés par les coupes histologiques qui ont illustré les effets bénéfiques de E. speciosa sur la réparation du tissu gastrique d’une part, et la baisse de la colonisation bactérienne des estomacs, d’autre part. L’extrait n’a pas montré d’effet cytotoxique contre les fibroblastes de souris (CI50 >1000μg/mL), les cellules cancéreuses du colon (CI50 >1000 μg/mL) et les larves d’artémies (CL50>1000 μg/mL). L’administration d’une dose unique d’extrait (2000 mg/kg) n’a entrainé aucun trouble de comportement chez les animaux en essai aigu et aucun décès n’a été enregistré jusqu’à la fin de l’expérimentation. En essai subaigu, l’extrait a provoqué une augmentation significative des globules blancs chez les femelles (400 et 1600 mg/kg) et une baisse significative des globules blancs chez les mâles à la dose de 1600 mg/kg. L’extrait a également provoqué une augmentation significative des taux d’ASAT et de bilirubine chez les femelles aux doses de 800 et 1600 mg/kg. Quelques dommages tissulaires ont été observés chez les animaux traités à l’extrait, toutefois, 14 jours après la fin du traitement, ces anomalies ont été réversibles à l’exception des hyperplasies mésangiales et des emphysèmes. L’extrait aqueux des feuilles de E. speciosa a démontré des propriétés anti-H. pylori de même que des effets antiulcéreux importants. Ces derniers résulteraient de la capacité de l’extrait à inhiber la croissance bactérienne, renforcer les défenses antioxydantes in vivo, augmenter la production de mucus qui à son tour faciliterait la re-épithélialisation et l’angiogenèse. Ces effets pourraient être attribués, au moins partiellement, à l’action de la α-amyrine et de la β-amyrone, deux composés majoritaires dans l’extrait ayant des propriétés antimicrobiennes et antiulcéreuses établies. L’extrait aqueux des feuilles de E. speciosa ne serait pas toxique pour l’organisme à la dose thérapeutique (200 mg/kg), ce qui limite considérablement les risques liés à son utilisation et renforce l’usage de cette plante à des fins thérapeutiques.